L’Inde vers la puissance nucléaire : du pacifisme à la dissuasion stratégique

Depuis son indépendance, l’Inde a oscillé entre un pacifisme affirmé et une quête progressive de puissance nucléaire. Ce parcours reflète une transition stratégique majeure, passant d’une posture non-alignée et antimilitariste à une doctrine axée sur la dissuasion nucléaire face aux menaces régionales.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Inde a adopté une politique résolument non nucléaire, prônant le désarmement global. Sous l’impulsion de leaders tels que Jawaharlal Nehru, le pays s’est positionné en fervent défenseur du pacifisme et du contrôle international des armements. Cette orientation était cohérente avec sa volonté de ne pas s’aligner dans le contexte de la Guerre froide.

Cependant, les impératifs sécuritaires ont rapidement remis cette posture en question. La rivalité historique avec le Pakistan, ainsi que les tensions avec la Chine – exacerbées notamment par la guerre sino-indienne de 1962 – ont conduit New Delhi à revoir sa stratégie. Ces conflits ont mis en lumière la nécessité d’un dispositif capable d’assurer une dissuasion crédible.

La première explosion nucléaire indienne en 1974, baptisée « Smiling Buddha », a marqué un tournant décisif. Officiellement présentée comme un « essai pacifique », cette démonstration de force mettait en évidence une capacité militaire nucléaire furtive, destinée à garantir la sécurité nationale. Ce test a surpris la communauté internationale et déclenché une dynamique régionale où la course à l’armement nucléaire s’est intensifiée.

Dans les décennies suivantes, l’Inde a développé son arsenal nucléaire avec un souci de stabilité stratégique. La doctrine nucléaire indienne repose principalement sur le principe de la « dissuasion minimale crédible », c’est-à-dire maintenir un niveau d’armes suffisant pour dissuader toute agression, mais sans recherche d’une suprématie écrasante.

Par ailleurs, l’Inde a intégré dans sa stratégie la capacité de riposte nucléaire contre les attaques conventionnelles majeures, avec une posture de « non-première utilisation » de l’arme atomique. Cette politique vise à rassurer la communauté internationale, tout en consolidant une posture ferme sur la scène asiatique.

Le développement des vecteurs nucléaires, notamment les missiles balistiques à moyenne portée et les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), a renforcé la crédibilité de cette dissuasion. Ces avancées technologiques assurent une capacité de second frappe, indispensable pour la stabilité stratégique dans une région volatile.

Sur le plan géopolitique, la puissance nucléaire confère à l’Inde un poids diplomatique accru. Elle permet au pays de s’affirmer face à ses voisins et d’être un acteur clé dans les discussions internationales sur la sécurité globale, y compris dans les forums de contrôle des armements.

En conclusion, l’Inde a effectué un virage stratégique profond, mettant fin à ses élans pacifistes pour embrasser une posture nucléaire pragmatique. Cette évolution témoigne d’une adaptation aux réalités régionales et internationales, consolidant sa place parmi les puissances nucléaires mondiales.